Yanis Varoufakis: le ministre et le Minotaure

51NMouy116L._AA324_PIkin4_BottomRight_-56_22_AA300_SH20_OU08_Les semaines à venir nous diront si les dirigeants européens ont compris le message porté par la Grèce: ce qui est en question n’est pas seulement la dette grecque, c’est la viabilité, la stabilité et la prospérité du continent entier et par delà, du monde. L’enjeu n’est pas seulement le sauvetage à court terme de la Grèce, mais la prospérité de l’Europe et du monde dans les prochaines années.

Le nouveau ministre des finances grec s’appelle Yanis Varoufakis. Avant d’être ministre, il est professeur d’économie et auteur de plusieurs livres. En lisant Varoufakis, on découvre que le tour d’Europe de Tsipras et son ministre de l’économie a certes pour objectif secondaire de renégocier la dette grecque, mais surtout de proposer de nouvelles règles à l’intérieur de la zone Euro et de la rendre prospère et soutenable. L’enjeu n’est pas seulement le sauvetage à court terme de la Grèce, mais la prospérité de l’Europe et du monde dans les prochaines années. Loin d’être un populiste qui surfe sur les dernières tendances de la foule sans articuler de réelle pensée économique et politique, Varoufakis a construit une véritable analyse de la situation et la développe dans un ouvrage que je viens de lire et que je recommande vivement. Il s’agit de Europe after le Minotaur: Greece and the Future of the Global Economy, disponible en version électronique gratuite sur Amazon. Les amateurs pourront compléter avec les autres livres de Varoufakis, et ceux qu’il a co-écrit avec James K. Galbraith (le fils de John K.), par exemple Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro. C’est un nouveau modèle de développement, un nouveau contrat social, qui sont proposés. Je ne suis pas économiste et il m’est difficile de juger objectivement de la qualité des travaux, mais j’ai trouvé leur lecture extrêmement stimulante. Enfin une analyse convaincante et des solutions! Varoufakis a le sens de la métaphore, ce qui rend sa lecture facile pour la profane que je suis. Ses deux métaphores les plus intéressantes sont celles du Minotaure et celle de la cordée.

Commençons par le Minotaure, vieille fable grecque. Pour résumer le propos de l’auteur, les Etats-Unis ont construit après 1945 un système hégémonique qui a assuré leur prospérité et celle du monde avec des taux de croissance extraordinaires. Le système que Varoufakis appelle le Minotaure assurait une production massive de biens par les clients des Etats-Unis, Japon et Allemagne et ensemble de l’Europe, qui trouvaient sur le marché américain un débouché supplémentaire à leurs marchés intérieurs et une demande toujours soutenue, alors que dans le même temps les bénéfices étaient en grande partie recyclés par le système financier de Wall Street et réinvestis à la fois dans les pays producteurs et surtout dans le système financier américain. Selon Varoufakis, les Etats-Unis avaient trouvé le moyen de générer une sorte de boucle avec un mécanisme de recyclage des excédents à leur profit permettant une croissance presque sans fin.

Presque sans fin, et c’est là tout le problème. Ce système a connu une première crise au début des années soixante dix, crise surmontée en mettant fin à l’étalon or, mécanisme commode pour les Etats-Unis, mais dangereux, car propices à tous les excès. Ce seraient justement les excès de la finance privée qui auraient provoqué la seconde crise, celle de 2008, crise dont le système ne se serait jamais remis. Nous vivons donc avec un Minotaure blessé, toujours omni-présent dans le paysage mondial, avec ses « servantes » la banque mondiale, le FMI et l’OMC, mais sans système de recyclage des excédents, d’où les crises à répétition. L’Europe se serait enfermée dans un système de « bankruptocracy » avec des solutions qui l’endettent de plus en plus sans profiter à l’économie réelle, faute de comprendre les raisons profondes de la crise. Pire, les règles de la zone Euro la rendraient vulnérable dans offrir les avantages de la solidarité? C’est ici que Varoufakis utilise sa métaphore de la cordée, dès que le plus faible a dévissé, il met en danger tous les autres sans que les autres puissent lui porter secours, la situation devient donc de plus en plus dangereuse, jusqu’à ce que le suivant dévisse, et ainsi de suite. Bref, la zone Euro telle qu’elle est construite ne présenterait presque que des inconvénients, sans aucun avantage.

Ce que propose Varoufakis, c’est de reconstruire la zone Euro, pas de la détruire, d’en faire une zone solide et solidaire, et de reconstruire un système de recyclage des excédents qui permette à nouveau la croissance.

Reste à savoir quel partenaire pourra s’atteler à une telle tâche. Le livre se termine en constatant que les BRICs manquent de maturité politique pour proposer un système global, que l’Europe reste enfermée dans son provincialisme et sa doctrine de l’austérité aveugle et inefficace, que les Etats-Unis, une fois de plus seraient peut-être les mieux outillés pour comprendre et pour agir.

Le blog de Varoufakis

Les livres de Varoufakis traduits en français