L’étrange oubli de la loi Leonetti

Avons nous donc si peu de mémoire que nous avons oublié le genre de problèmes que l’on proposait aux écoliers du IIIe Reich: « Si un malade, inutile pour la société, coûte tant par jour à l’Etat, calculer quelle serait l’économie réalisée par l’Etat chaque année si ces malades disparaissaient »? La question n’en est malheureusement pas restée à l’état d’énoncé de problème de mathématiques, on lira sur le sujet l’article de Suzanne Heim dans le Monde diplomatique de mai 2005.

L’émotion de l’opinion publique est entretenue par les partisans ultra-minoritaires de l’euthanasie qui jouent sur l’indignation légitime que peuvent susciter des fins de vie dans des souffrances inhumaines. Ils espèrent à la faveur de l’élection présidentielle obtenir des engagements en faveur de l’euthanasie de la part des différents candidats, mais ils se gardent bien de souligner que le débat a déjà eu lieu et qu’une loi très récente a déjà été votée. Cette loi est la loi Leonetti sur la fin de vie, votée en 2005, qui récuse l’acharnement thérapeutique et affirme le droit fondamental pour chaque citoyen au refus de traitements inutiles ou dépourvus de sens. Malheureusement, cette loi est mal appliquée, les unités de soins palliatifs restent trop rares, et des situations trop nombreuses de souffrances intolérables perdurent. Faut-il pour autant créer une nouvelle loi alors que l’on n’a pas appliqué celle de 2005? Le bon sens voudrait que l’on commence par appliquer la loi Leonetti.

Marie de Hennezel, qui avait accompagné la mort de François Mitterrand, écrit justement dans le Monde daté du 1er mars:
Que Mme Royal et M. Sarkozy s’engagent dans la mise en oeuvre des textes. Voilà qu’à une semaine de distance vous prenez l’un et l’autre position en faveur d’une loi sur l’euthanasie. L’un et l’autre, vous invoquez l’argument des « souffrances épouvantables… intolérables » des personnes en fin de vie, souffrances face auxquelles « on ne peut pas rester les bras ballants », dites-vous. Vous voulez « mettre en place une législation » qui permette de les apaiser. En vous écoutant, on reste pantois.
Même discours du côté de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) qui a lancé mercredi soir sur Internet un manifeste. Ce manifeste tient à réaffirmer la complexité des problèmes posés qui « appellent une réflexion approfondie et dépassionnée et non des solutions simples et simplistes » (Le Figaro, 9 mars 2007).

Il faut reconnaître que l’euthanasie représente indéniablement une plus grande facilité économique, elle coûte moins cher que le développement d’unités de soins palliatifs. On n’ose imaginer que cet argument jamais avancé ne soit finalement la cause du peu de publicité qui est fait à la réponse pourtant pertinente à la souffrance en fin de vie qu’offrent les soins palliatifs.

Dans un univers qui fait peser de plus en plus de pressions économiques sur le monde hospitalier, comment garantir qu’il ne serait pas tentant de se débarrasser de patients qui deviennent coûteux sous le prétexte d’abréger leurs souffrances ? Comment garantir que des familles dont certains membres âgés deviennent une charge ne seraient pas elles aussi tentées de s’en débarrasser sous des prétextes humanitaires ?

A part quelques militants qui décideraient en connaissance de cause de leur propre mort, comment garantir que les malades en fin de vie decideraient librement, alors que leurs facultés sont diminuées, et qu’ils peuvent subir les pressions de leur entourage pour lequel, il faut le reconnaître, ces situations sont également difficiles à vivre ?

Appliquons au moins correctement la loi Leonetti avant de rouvrir un débat déjà mené en 2005. Oui, il faut une réponse à ces situations dramatiques, mais cette réponse existe déjà, alors pourquoi en chercher une autre qui présente des risques évidents de dérapages éthiques ?

Jusqu’à présent, contrairement à Ségolène Royal et à Nicolas Sarkozy, François Bayrou n’est pas tombé dans le piège du chantage à l’émotion des militants pro-euthanasie et a réaffirmé qu’il était pour le soulagement de la souffrance (qui serait contre ?) et le développement des soins palliatifs.

Les auteurs du manifeste publié dans le Nouvel Observateur ont interpellé les candidats. Un article de Libération le 9 mars résume leurs positions. N. About pour l’UDF a déclaré: «Doit-on porter atteinte à l’interdiction de tuer ? Non. Nous souhaitons l’évolution de ce texte de loi, tout en réaffirmant la valeur de la vie, et le respect dû à la personne.»

Libération n’a pas vraiment tort de railler cette position « floue et centriste »: on peut difficilement demander à la fois la révision de la loi Leonetti et réaffirmer la valeur de la vie. Tentons au moins d’abord d’appliquer la loi Leonetti avant de commencer à vouloir la réviser, puisqu’elle semble convenir aux professionnels de la fin de vie si l’on en croit le témoignage de Marie de Hennezel ou de la SFAP. C’est le sens du manifeste de la SFAP qui rappele que deux ans après sa promulgation il est malheureusement exact que l’application concrète de la loi d’avril 2005 reste très imparfaite. En infraction avec elle, des situations d’acharnement inadmissible persistent. Il faut appliquer la loi et non la changer !

La SFAP indique d’ailleurs plusieurs pistes pour améliorer l’application de la loi et la faire connaître: des campagnes d’information à destination des personnels de santé et des malades, et surtout un observatoire des pratiques déraisonnables qui évaluerait, avec des professionnels de la santé, des associations et des sociétés savantes, l’application concrète de la loi et pourrait servir de médiateur dans les cas complexes.

L’article d’Edouard Ferrand dans le Monde du 10 mars élargit justement le problème à celui de la fin de vie dans les hopitaux français, car on y meurt plutôt mal, souvnt dans la solitude et la souffrance. Mais cet anesthésiste-réanimateur de l’Hopital Henri Mondor estime lui aussi que l’euthanasie n’est pas la bonne réponse à cette question et que l’application correcte de la loi Leonetti serait déjà une amélioration importante.

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