Victoires à la Pyrrhus

Pyrrhus.JPGAu soir du 14 mars, un perdant a été aussitôt identifié, le MoDem. Il a perdu une bataille, il n’a pas encore tout à fait perdu la guerre, nous y reviendrons dans un prochain billet. Europe Ecologie, le Parti Socialiste, le Front National, le Parti de gauche et même l’UMP, avec une certaine dose de mauvaise foi et de déni de la réalité, ont célébré ce qui leur apparaissait comme des «victoires», mais ces victoires risquent de révéler des victoires à la Pyrrhus. Pyrrhus 1er est ce roi d’Epire qui a certes gagné les batailles d’Héraclée en – 280 et d’Ausculum en – 279, mais en y perdant son armée et en hypothéquant son avenir.

Tous les partis ont perdu des voix entre le 1er tour de 2004 et le 1er tour de 2010, à l’exception de l’union de la gauche qui en gagne 40 000, une bien faible progression quand le corps électoral compte deux millions trois cents mille électeurs supplémentaires! La perte de voix la plus spectaculaire est à droite avec près de trois millions et demi de voix perdues.

diff-voix2004-2010

Si le pourcentage de suffrages exprimés peut faire illusion, en pourcentage des inscrits, tous les partis reculent.

inscrits2004-2010

En apparence, rien ne change fondamentalement si l’on considère la répartition des sièges en 2004 et 2010 (source: http://www.elunet.org/ et chiffres du ministère de l’intérieur).

sieges2004

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L’UMP se vante d’avoir su faire l’union dès le premier tour, excellente méthode pour ne pas se compter et concéder le moins possible à ses alliés lors des futures territoriales, et arrive en tête dans quelques régions. Certes, elle ratisse large et parvient à prendre en otage le Nouveau Centre, les Chasseurs, les Radicaux et le MPF, mais elle se prive de toute possibilités de reports de voix au second tour et concède un nombre de siège plus important qu’en 2004 à ses alliés. L’UMP perd collectivement comme union de la droite (490 sièges en 2004, 460 en 2010) et termine avec 330 sièges au lieu de 345 en 2004. En nombre de voix, la défaite est encore plus cinglante: la droite perd deux millions de voix, alors que le corps électoral compte deux millions trois cents mille électeurs supplémentaires! Elle améliore son résultat catastrophique du premier tour (12,31% des inscrits), mais alors qu’elle rassemblait 23,25% en 2004 des inscrits en 2004, elle ne rassemble que 17,29% en 2010, alors qu’elle est présente dans toutes les régions.

Le Front National n’est qu’un gagnant de façade, grâce à l’abstention, il perd en réalité un million de voix entre le premier tour de 2004 et celui de 2010 et passe de 9,35% des inscrits en 2004 à 5,49% des inscrits de 2010. Bien qu’il se maintienne à un haut niveau au second tour, il perd des élus, de 156 à 118.

Dans l’incapacité de gagner seuls, même rassemblés, la tentation de gagner avec le FN risque de réapparaître à la droite de la droite avec la tentation symétrique de ressusciter l’UDF. Ces deux forces centrifuges pourraient faire éclater un groupe dont la cohérence idéologique est de plus en plus artificielle et ne tenait que par la promesse de la victoire.

Le Parti de Gauche perd des élus, mais gagne sur la stratégie. L’union de la gauche l’emporte largement sans alliance avec le MoDem.

Europe Ecologie est en apparence le grand gagnant des régionales: une progression spectaculaire en nombre d’élus, de 159 à 263, mais aucun présidence de région. Les Verts ont préféré maximiser leur nombre d’élus au lieu d’exiger de leur allié le PS des présidences de région. Cette stratégie risque de leur coûter cher à l’avenir et de les cantonner dans le rôle de supplétifs du PS qui n’auront aucune région «vitrine» qui leur permettrait d’expérimenter un programme différent de celui de la gauche. Ils ont perdu une occasion historique d’exister politiquement et de provoquer une recomposition des lignes.

Le Parti Socialiste renouvelle et améliore son exploit de 2004 et remporte une région de plus, la Corse. Il augmente pourtant peu son nombre d’élus, de 714 à 754, malgré un recul des sièges du PC et de la gauche du PS, de 191 à 102. Ce sont les écologistes qui profitent finalement de la bonne performance de l’union de la gauche. Plus grave, le PS risque de se retrouver prisonnier de sa victoire. Les tenants de l’union de la gauche et du statu quo l’ont finalement emporté contre les tenants de la modernisation idéologique et de l’alliance avec le MoDem. Par défaut, «la gauche» a gagné sans difficulté, alors même que la plupart des présidents sortants sont des inconnus assez terne au bilan honnête mais rarement flamboyant. Hélas, il est peu vraisemblable que cette stratégie par défaut suffise pour remporter une élection présidentielle. Le grand écart entre les déclarations très idéologiquement marquées à gauche du PS et sa pratique très gestionnaire et réaliste du pouvoir n’a pas échappé au Front de Gauche qui n’a cessé d’attaquer le PS sur ce thème au cours de la campagne. Sans les voix écologistes, le recul de la gauche aurait été manifeste. Le PS se retrouve dans une impasse idéologique et dans l’incapacité de travailler sérieusement à un programme: ou il conserve son logiciel de l’époque de la guerre froide en façade et sa co-gestion néo-libérale des affaires avec l’Etat UMP, mais il y perd sa crédibilité et ses électeurs; ou il modernise son logiciel et le met en accord avec de nouvelles pratiques, au risque de fâcher sa gauche. Comme cette gauche résiste et vient de donner tort au camp «moderniste», le statu quo et le gel idéologique prévaudront, pour le malheur du PS en 2012. De ce côté-là aussi, l’éclatement menace.

Le décompte des voix est plus éloquent que les pourcentages de suffrages exprimés. Il traduit une désaffection générale pour les propositions politiques en présence.

En 2004:

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Même au deuxième tour, l’électeur ne se résout plus à voter utile. Les chiffres de l’abstention le montrent clairement:

En 2010:

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Le parti qui saura finalement entrer en résonance avec les attentes des Français balaiera ses concurrents à la prochaine élection. A la lecture des résultats des élections régionales, malgré leurs élus, ni le PS, ni l’UMP, ni les écologistes ne semblent en mesure de construire cette alternative. Le risque d’éclatement ou l’enfermement dans les logiques anciennes les en empêchent.

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