Former les enseignants: un enjeu stratégique pour une école de qualité

bayrou_et_les_profsLa formation des enseignants est un enjeu stratégique pour la qualité du système éducatif. Alors que le recrutement des enseignants au niveau du Master aurait pu être une chance pour améliorer leur formation, les plus mauvaises décisions ont été prises. Le résultat ne s’est pas fait attendre: baisse du nombre des candidats, difficultés à pourvoir les postes, démissions. Cette note propose quelque mesures simples pour améliorer la situation (changement du calendrier) et une réflexion de fond sur la formation des enseignants, le moment de leur recrutement et les enjeux de promotion sociale qui y sont liés: formation progressive dans la durée, financement des études pour favoriser la promotion sociale, décloisonnement des carrières, mobilité et variété des parcours professionnels.

Des directives de l’OCDE et de l’Union Européenne ont imposé que les enseignants du primaire et du secondaire soient titulaires d’un Master, alors que jusqu’à une date récente en France, ils étaient recrutés sur concours après une licence (pour les concours de l’enseignement primaire, le CAPES et le CAPET). A priori, cette mesure aurait dû recueillir les faveurs des enseignants. Alors qu’ils avaient préparé pendant un an ou plus les concours d’admission puis reçu une formation d’un an, on ne leur reconnaissait que trois ans de formation après le bac sur le papier au lieu de cinq. Enfin, cette entrée au niveau Master dans la grille de la fonction publique représentait également une meilleure rémunération, au moins pour les nouveaux recrutés.

Il aurait suffi de rebaptiser l’année de préparation au concours M1 et l’année de stage et de formation M2, et l’on passait en douceur d’un système à l’autre.

Au lieu de cela, le plus mauvais calendrier a été choisi, contrairement aux avis de la commission Marois-Filâtre nommée par le Ministère lui-même. Le système actuel cumule tous les défauts: calendrier impossible, deuxième tentative au concours difficile, impossibilité de tenter plusieurs concours à la fois ou de se réorienter, réorientation difficile des diplômés recalés au concours, initiation à la recherche mais impossibilité de la poursuivre, cloisonnement des parcours, etc.. Quant à l’augmentation de salaire, elle est effacée par l’absence de salaire au cours de la formation, on reprend d’une main ce qui a été donné de l’autre. L’architecture des nouveaux masters handicape à la fois la formation universitaire et la formation professionnelle du fait de son calendrier intenable. Les candidats ne s’y sont pas trompés, leur nombre a chuté brutalement malgré une quantité de postes relativement stable. Le candidat prépare le concours en M1, mais au lieu de passer le concours en fin d’année, il passe le concours en M2. L’écrit à l’automne, avec les résultats d’admissibilité vers Noël, puis l’oral en mai ou juin, avec le résultat final début juillet.

Concrètement, le candidat est contraint d’engager son année de M2 sans savoir s’il sera admis au concours. Il cumule la pression du concours sur toute l’année, les difficultés de stages courts seul dans des classes sans vraie préparation, un programme de cours et d’examens chargé et la rédaction d’un mémoire, le tout saucissonné entre novembre et avril, à cause de l’écrit et de l’oral du concours qui occupent le début et la fin de l’année. Par construction, il n’a que très peu de temps et de disponibilité d’esprit pour une formation professionnelle digne de ce nom, en supposant qu’il ne se débatte pas dans des difficultés matérielles, ce qui est souvent le cas.

Par rapport aux écoles normales, les IUFM ne fournissaient qu’une formation relativement légère en une petite année académique après le concours, mais le futur enseignant était déjà reçu au concours et salarié, et complètement disponible pour se former à travers des stages et des cours, avec des mécanismes assez différents pour le primaire et le secondaire. Dans le cadre du nouveau M2, les IUFM forment des étudiants non salariés, sur une période encore plus courte, incertains quant à leur devenir professionnel, mais avec des exigences universitaires plus élevées qu’auparavant. On comprend aisément que cette situation ne soit ni bonne pour les étudiants qui désertent les exigences intenables d’un parcours aux perspectives aléatoires, ni pour l’institution qui recrute plus tard des enseignants moins bien formés.

Le seul mérite que l’on peut trouver au nouveau système est d’avoir fait souffler un esprit plus ouvert à la recherche et plus universitaire dont les sciences de l’éducation pourraient à terme bénéficier, et in fine, la qualité de l’enseignement, à condition de ne pas perdre l’expérience professionnelle transmise par les professeurs d’école normale puis d’IUFM, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes, et sont en général des professeurs du secondaire, et absolument pas les spécialistes de sciences de l’éducation qu’imagine l’opinion publique. L’un des acquis des IUFM dans l’université, c’est-à-dire intégrés comme composantes et fonctionnant sur un modèle universitaire, est l’échange permanent, dans la formation, entre les expériences de terrain et les pratiques professionnelles et la recherche.

La plus grande perversité du nouveau système est de fabriquer des diplômés qui ne sont pas reçus au concours et se trouvent sans débouchés professionnels clairs. On peut penser que c’est cette volonté de fabriquer de futurs vacataires et de dissocier la qualification et la réussite au concours qui a conduit au calendrier délirant du M2. Certains soupçonnent que l’étape suivante sera l’abandon du statut de fonctionnaire.

Une première mesure simple serait de restaurer un calendrier raisonnable. Plusieurs options sont possibles: – L’écrit et l’oral du concours en fin de M1, ce qui permet d’avoir en M2 des étudiants salariés et rassurés sur leur avenir professionnel, donc disponibles pour la formation et la recherche sur une année scolaire entière. Le mémoire pourrait être rédigé au cours de la première année d’enseignement, et validé au moment de la titularisation. Cet exercice réflexif prend tout son sens si l’étudiant a le temps d’analyser ses propres pratiques professionnelles avec un minimum de recul. Ce calendrier ne dissocie plus le diplôme et le concours. – L’écrit en fin de M1, l’oral en fin de M2. Le poids du concours se trouverait réparti sur les deux années, et les étudiants aborderaient M2 avec au moins la certitude d’être admissibles. C’est le changement le plus simple à faire, mais le système continuerait à fabriquer des diplômés non recrutés. On pourrait dans ce cas aussi laisser la possibilité de différer le mémoire de recherche d’un an, de façon à prendre le temps de la réflexivité.

La formation des enseignants est un enjeu stratégique pour la qualité du système éducatif. Examinons, les paramètres qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats.

La formation initiale touche la totalité des enseignants avec un grand nombre d’heures, la formation continue, si indispensable et si bien organisée soit elle, n’en touche qu’une partie pour un plus petit nombre d’heures, à conjuguer avec le temps de travail. Il faut donc concentrer déjà les efforts sur la formation initiale. Ce qui importe vraiment, c’est le nombre d’heures de formation au métier d’enseignant avant le diplôme et la titularisation.

Un recrutement à bac+5 est une injonction creuse. Il existe un monde entre un candidat qui a passé cinq ans à se former à l’enseignement à la suite d’un choix d’adhésion et un candidat qui aura passé cinq ans à étudier autre chose et finalement, par défaut, choisira l’enseignement et y sera préparé par un vernis de formation à la hâte en un semestre. Les « parcours professeur des écoles » qui permettent de se familiariser dès la licence avec le monde de l’école à travers des UE optionnelles, mais sans se fermer d’autres voies et en conservant l’ouverture universitaire, sont une bonne préparation au Master. Le même type de parcours pourrait être proposé aux futurs professeurs des lycées et collèges.

Dans le passé, les carrières de l’enseignement ont favorisé la promotion sociale car les études étaient financées. Recruter tôt avec des bourses d’étude encourage des étudiants de familles modestes à faire des études longues et permet de recruter des candidats brillants et motivés. Des dispositifs sur le modèle des IPES devraient être remis en place. Un recrutement tardif après des études longues entièrement à la charge des étudiants produit l’effet inverse: découragement des étudiants qui hésitent à se lancer dans des études longues aux débouchés incertains, risque de recrutement par défaut en fin de parcours.

La formation continue est essentielle pour plusieurs raisons. D’une part, elle permet d’analyser et de renouveler ses pratiques dans un métier où l’on est seul dans sa classe avec plus ou moins la même mission pendant toute sa carrière. Les élèves, les programmes, les méthodes changent, il faut accompagner ces changements par la formation continue. Un bon enseignant est un enseignant qui apprend en permanence, qui cherche à améliorer son enseignement. D’autre part, la formation permet d’amortir les changements de statut au fil de l’histoire de la profession ou d’évoluer vers d’autres métiers ou d’autres enseignements, ce qui est une aspiration légitime. Les derniers recrutés en licence doivent pouvoir passer un Master comme leurs nouveaux collègues.

Un enseignant du primaire doit pouvoir évoluer vers le secondaire s’il le souhaite, les PEGC ont été un exemple de cette mobilité, un enseignant du secondaire ou du primaire doit pouvoir s’initier à la recherche, passer éventuellement une thèse, et devenir enseignant dans le supérieur, ou passer quelques années à l’Institut Français d’Education (ex. INRP). Il est paradoxal aujourd’hui de l’initier à la recherche en Master, puis de lui imposer une carrière cloisonnée à un cycle d’enseignement. On peut imaginer aussi des parcours inverses, ou des aller et retour. Au lieu de cloisonner les carrières, il faut les décloisonner et permettre un échange permanent entre la recherche et les pratiques de terrain. Ces perspectives améliorent l’attractivité des carrières de l’enseignement, elles permettent le développement personnel des enseignants, elles dynamisent la recherche en didactique, enfin elles sont bénéfiques pour les élèves, notamment dans comparaison périodes de transition entre école et collège, collège et lycée, lycée et université. Les parcours vers l’administration (directeur, directrice, etc.) et l’inspection sont aussi à mettre en évidence, ou des séjours à l’étranger et même des départs vers d’autres professions, la mobilité, la diversité des parcours sont à encourager, y compris dans le système des points qui favorisent pour l’instant l’immobilisme.

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